Depuis deux ans, le collectif Méta-Morphose permet à des jeunes et des familles d’Apprentis d’Auteuil d’expérimenter le théâtre-forum pour faire vivre son plaidoyer. Découverte d’un outil qui permet de plonger dans son être profond, en compagnie de son fondateur, Sébastien Blache, comédien et formateur.
Qu’est que le théâtre-forum et quel est son objectif ?
C’est un outil d’éducation populaire qui permet, par le biais du jeu théâtral, de faire émerger la parole et la réflexion autour d’un thème choisi. Créé dans les années soixante par le dramaturge brésilien Augusto Boal, il se fonde sur deux convictions : chaque homme porte en lui la capacité d’agir pour sortir d’une simple faction d’observateur passif et le théâtre doit révéler chez lui un désir de transformation, d’indignation et de justice.
Son objectif consiste en premier lieu – la partie atelier – à mettre en scène des histoires à partir de problèmes que les gens rencontrent et dans lesquels ils sont obligés ou empêchés par quelqu’un de faire quelque chose. En deuxième lieu, vient le spectacle : les scènes travaillées sont proposées à un public, avec la particularité que les spectateurs peuvent venir remplacer les comédiens sur scène pour régler la situation qui pose problème.
Il ne s’agit pas de trouver la bonne réponse, mais d’expérimenter ensemble les solutions possibles, selon un cadre bien codifié. Le théâtre-forum peut aborder n’importe quelle thématique sociale.
Qu’offre cette expérience d’un point de vue sociétal ?
Nous dénonçons des situations d’injustice pour aider les personnes qui en sont victimes à reprendre leur destinée en main.
C’est un outil profondément politique qui permet de faire émerger une transition sociétale rapide et puissante.
En décidant de partager leurs histoires, les comédiens non professionnels qui montent sur scène vivent un engagement citoyen évident !
Et sur un plan plus personnel ?
Il en résulte souvent la remise à plat des relations avec les autres, une confiance en soi accélérée, le dépassement d’un traumatisme, le développement de l’autonomie, la responsabilisation, l’engagement…
Le théâtre-forum est une expérience de rencontre et de liberté puissante, à la frontière entre le social, le sociologique et le thérapeutique. Avec derrière chaque participant, la question de l’image de soi et celle du groupe, qui soigne et fait du bien.
Une démarche en résonance avec le plaidoyer d’Apprentis d’Auteuil ?
De toute évidence ! Ces derniers mois, en région sud-est, Apprentis d’Auteuil m’a demandé d’aider à donner chair à son plaidoyer en le faisant incarner au théâtre par des « comédiens en herbe » venus de différents établissements.
Après un temps d’approche corporelle et des exercices en ateliers un samedi par mois, nous avions choisi, en lien avec les thématiques du livret « Prendre le parti des jeunes« , écrit pour lancer la campagne, de représenter trois scènes qui dénonçaient des situations de violence, de harcèlement scolaire et de difficultés d’accès à l’emploi.
Pour changer les regards, défendre l’intérêt supérieur de l’enfant, réduire les fractures sociales… Deux représentations ont été données à Villeurbanne il y a quelques jours, dans le cadre d’un festival culturel pour clôturer ce travail collectif. Un moment magnifique !
Que retirez-vous des sessions que vous animez ?
Tellement de choses… Une de mes expériences les plus marquantes s’est faite avec des jeunes d’un centre éducatif renforcé. Les gamins, placés sous mandat judiciaire, se sont emparés de leurs propres histoires d’une manière incroyable en se mettant à jouer sur scène leurs scénarios de vie – prenant sans hésiter la peau des policiers et des gendarmes – dans un élan d’authenticité et de sincérité incroyable.
Plus récemment, j’ai vécu une autre aventure encore plus incroyable à Mayotte, avec des jeunes – et des éducateurs – d’Auteuil, réputés pour leur réticence à parler d’eux-mêmes et à exprimer leurs émotions. Un enjeu de taille pour un atelier de deux semaines d’immersion en continu !
Avec le comédien qui m’accompagnait, nous avons été totalement bouleversés. Presque tous les jeunes présents ont voulu jouer leur histoire, jusqu’à animer l’atelier en se renvoyant la balle entre eux, avec une capacité de jeux, de symbolisation et d’engagement étonnante. Nous devenions spectateurs. Ils avaient tout compris.
Pourquoi vous êtes-vous lancé dans une telle aventure ?
De par mon histoire, j’ai été personnellement très touché, adolescent, par la question de l’exclusion, avant de vivre une crise existentielle très forte autour de mes 30 ans. Je n’allais pas bien du tout.
Le théâtre, que j’ai rencontré à ce moment-là, m’a permis de plonger dans mon être profond. Il m’a aussi rendu meilleur.
En parallèle, j’ai décidé de me former au métier de coach, à l’art-thérapie et au clown professionnel.
Et j’ai fini par quitter le monde de l’industrie dans lequel j’avais exercé vingt ans durant.
J’offre désormais aux personnes qui le souhaitent l’occasion de vivre des expériences qui peuvent révolutionner leurs vies. Comme la mienne a été révolutionnée.
Si chacun d’entre nous décidait de s’emparer de ce genre d’outils, le monde n’aurait plus le même visage !